“ Il faut un petit groupe de personnes pour que ça change, et après la majorité changera. Il faut des convaincus à la base.”
Super 40 s’est entretenu avec Marie Nguyen, co-fondatrice de Wedressfair, pour échanger autour des problématiques du secteur de la mode.
Wedressfair, c’est une entreprise à mission lancée par Marie et Antoine en 2018, pour que la mode et le monde changent durablement. Cette plateforme de mode éthique réunit aujourd’hui les vêtements de plus de 85 marques vraiment responsables, pour permettre à tous de trouver facilement des vêtements qui correspondent à leurs valeurs, et de faire connaître ces acteurs qui respectent les travailleurs et l’environnement. Ils ont aussi ouvert leur boutique à Lyon, dans le premier arrondissement.
Ensemble, nous essayons de voir quels sont les enjeux actuels de l’industrie de la mode, les changements qui s’opèrent et les décisions à prendre pour avancer vers un futur souhaitable.
Il n’y en a pas qu’un, mais plusieurs. Nous avons d’abord le problème de la surproduction à cause de la mondialisation que l’on pousse à l’extrême. On ne raisonne même plus avec une économie d’échelle, mais en faisant l’impasse sur le droit humain et en vendant à des prix dérisoires, et avec une qualité qui laisse à désirer.
Et tous ces produits ne sont pas pensés pour être recyclés et recyclables, et nous nous retrouvons maintenant face à une grande problématique de gestion des déchets. On produit trop de matière première qu’on ne réutilise pas ensuite.
Depuis une vingtaine d’années, on a donc inondé le monde de vêtements pas chers, en créant du besoin. On se donne l’illusion du luxe en ne consommant même plus pour s’habiller mais pour se faire plaisir et pour appartenir à un groupe. Tout le monde peut se permettre ce type de consommation, les prix sont pensés pour ça.
La situation se dérégule encore plus, et aujourd’hui l’industrie de la mode est incompatible avec la vie. D’un point de vue environnemental, on produit trop, chaque année davantage, et on ne recycle pas. Et sur le plan social, on exploite des humains pour une fonction de production et non faire évoluer l’espèce humaine.
Sur le plan biologique, ça ne fonctionne pas, il faut revenir à quelque chose de plus sain.
Il faut absolument que ça passe par des contraintes, car actuellement le profit est beaucoup trop puissant et influant dans ces sociétés. C’est lui qui a le maître-mot. Pour stopper ce système, ça passe par deux choses : un changement par le bas avec les consommateurs, et un changement par le haut avec la législation.
Il y a d’abord une question d’image. Ces grosses sociétés vivent sur l’image de marque qu’elles se sont créées, et si les consommateurs viennent agir pour la déconstruire, elles devront s’adapter. Il n’y a pas besoin que toute la population s’y mette, parfois il suffit d’un tout petit groupe de personnes pour abîmer cette image et pousser au changement.
Ensuite, il y a la contrainte législative. Comme on l’a dit, l’industrie actuelle de la mode est incompatible avec la vie, et donc incompatible avec la survie. Les gouvernements vont forcément devoir s’y intéresser de près. La surexploitation des ressources naturelles dans la mode doit être stoppée, et ça ne sera possible qu’avec l’intervention de décisions prises au niveau gouvernemental. Avec des législations internationales, pour tout coordonner, car une grande majorité de ce que l’on consomme en France vient d’Asie.
Vous parliez du changement par le bas, en soulignant le rôle important des consommateurs. Comment évolue leur mentalité à ce sujet, sont-ils plus sensibles à ces problématiques et prêts à changer leur mode de consommation ?
De manière globale, pas particulièrement. En revanche c’est ce qu’on disait, il faut un petit groupe de personnes pour que ça change, et ensuite la majorité changera. Il faut des convaincus à la base. Donc la majorité n’évolue pas dans ce sens aujourd’hui, mais elle suivra un mouvement demain.
Depuis 5 ans, on a de plus en plus accès à l’information, et donc de nombreux groupes très radicaux se forment pour demander de la transparence et pousser les législations à aller plus loin. Ce sont ces personnes-là qui vont faire avancer les lois, changer une partie de la société, et ça fera un effet boule de neige.
Mais pourquoi ça n’aboutit pas dès aujourd’hui ? Parce que la législation ne bouge pas.
Ce n’est pas un mouvement parallèle, mais en ce moment c’est de la gestion d’urgence. C’est ce qu’on fait avec Wedressfair. Il y a une urgence climatique et une urgence sociale, et si on veut consommer de la meilleure des façons possibles, il faut proposer des solutions.
Mais on ne s’adresse pas à toute la population, parce que les prix sont plus chers, parce que les mentalités n’ont pas changé et que le système reste le même. La TVA est identique pour les produits de fast-fashion comme les produits de mode éthique. Donc forcément, on s’adresse aux plus convaincus et à ceux qui en ont les moyens.
En revanche, toutes ces initiatives sont des moteurs pour pousser la législation à changer. Les marques qui se développent ne seront pas des multinationales demain, et ce n’est pas leur objectif premier. Mais elles créent un précédent. Et quand on crée un précédent, on peut ensuite prouver que les sociétés qui font les choses bien dans la mode sont rentables. Ce n’est pas parce qu’on se prive de certaines choses pour chercher la perfection qu’il n’y a aucun modèle financier et d’épanouissement personnel qui fonctionne bien. Ces initiatives écrivent ce précédent, et c’est ça leur force.
La TVA. Tout simplement baisser la TVA sur tous les produits biologiques et de consommation responsable. Si on fait ça, on baisse de 20% le prix. C’est incroyable l’impact que ça aurait sur la consommation ! Les produits bio et responsables seraient beaucoup plus accessibles.
Cette prise de position montrerait qu’on a envie de rééquilibrer la machine.
Pour aller encore plus loin, je mettrais même des taxes sur l’importation des produits qui sont mal faits. Mais ça serait déjà bien de baisser la TVA.
Merci Marie pour cet échange 😊
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