Dans une de nos fictions, nous nous sommes vus vendre nos épluchures de fruits et légumes en 2040, pour que les industries puissent s’en servir et utiliser les actifs et les pigments qu’elles contiennent.
Loin de n’être qu’une histoire imaginée, ce processus d’upcycling des ressources naturelles est en réel progression avec le développement des teintures organiques. A base de fleurs, fruits ou écorces, elles viennent naturellement teindre les vêtements dans des teintes variées, tout en respectant la santé de l’être humain comme celle de la planète.
Cela suffira-t-il pour prendre le contre pied de la teinture synthétique, et de son impact désastreux sur l’environnement ?
Selon les calculs de Pili, spécialiste des teintures organiques, la création d’1 kg de colorant d’origine pétrochimique demande près de 100 kg de résidus pétrolifères, 10 kg d’acides forts et 1000 l d’eau.
Les composants des teintures synthétiques feraient sûrement un score minable sur Yuka… Ethoxylate de nonylphénol, colorants azoïques, phtalates, formaldéhyde et d’autres produits au nom complexe et tout aussi peu recommandable.
On retrouve aussi du chlore et des métaux lourds comme le sulfate, que ce soit dans les pigments, les solvants ou les acides. Extrêmement polluants et très volatiles, ils viennent empoisonner l’eau et le sol, à cause des rejets industriels.
L’ADEME estime que 20% de la pollution des rivières mondiales est due aux textures textiles et leurs produits chimiques.
La dégradation du colorant est difficile et ses effets perdurent à court et long terme dans l’environnement :
Ces produits toxiques portent également atteinte à la santé humaine, notamment celle des hommes et femmes qui les manipulent. Ils sont à l’origine de cancers et de problèmes d’infertilité, principalement dans les usines délocalisées des pays du Sud où les réglementations autour du travail et de la sécurité sont peu restrictives.
Face à ce constat, certaines normes sanitaires et environnementales ont été revues au niveau international. Une directive européenne oblige notamment les exportateurs à avoir une attestation “Azo Free”. Celle-ci interdit ou tolère à peine les composants dangereux (métaux lourds et produits chimiques) présents dans les colorants azoïques.
C’est pourtant trop peu pour modifier et raisonner l’usage des teintures. Et au rythme où nous consommons la fast fashion à travers le monde, les industries n’ont aucun intérêt à modifier leurs choix de production.
Et pourtant, des alternatives existent !
La teinture organique a cet énorme atout d’être naturelle. Sans produits nocifs et agressifs, elle n’est pas polluante et n’impacte en rien l’environnement.
Il en est de même pour la santé puisque sa manipulation n’est pas dangereuse, et qu’elle réduit les risques allergènes pour s’adapter à tous types de peaux.
Pour teindre le textile avec une teinture organique, il faut d’abord réaliser le colorant naturel. Les plantes, racines, écorces, minéraux, fruits, fleurs ou racines infusent dans un bain pour que les molécules colorantes soient libérées. L’ensemble est ensuite filtré lors de la décoction pour ne garder que le colorant sans la matière, et lui donner toute son intensité.
Sur le tissu, le mordançage prépare les fibres à recevoir le pigment. Une fois prêt, le textile est plongé dans la solution, c’est la fusion. Les jeux de température et de durée du bain permettent d’obtenir la nuance de couleur souhaitée pour la teinture.
On dit parfois que la teinture organique est certes naturelle mais peu efficace. Pourtant lorsqu’on regarde les magnifiques tentures anciennes exposées dans des musées, on peut encore admirer leurs couleurs, quelques centaines d’années après !
Pour garantir un maintien optimal de la teinture organique, il faut surtout privilégier un tissu aux fibres naturelles, les fibres synthétiques recevant moins bien le pigment.
Pour autant les vêtements en teinture naturelle passe en machine et dure dans le temps sans problème.
Cette démarche naturelle et responsable a un autre avantage, elle s’inscrit dans une démarche d'économie circulaire en recyclant les “déchets” pour les utiliser comme base aux colorants. Plusieurs marques ont pris cette initiative.
Le projet suisse Local Colours a ainsi décidé de créer un pull unisexe dont la teinture est faite avec des pelures d’oignons et dont les auxiliaires nécessaires à la stabilité de la teinture sont des déchets issus des industries forestière et métallurgique régionales.
WHOLE est un studio de création et de production de textile parisien qui se spécialise dans la réalisation artisanale de teintures végétales et fibres locales. Sont utilisés des peaux d’avocat, des fanes de carotte, des feuilles d’artichaut, des brous de noix et d’autres déchets alimentaires récupérés auprès des restaurateurs et maraîchers du quartier ou ramassés dans les parcs des environs.
Et pour aller encore plus loin dans cette démarche éthique, locale et circulaire, le studio propose de reteindre sans frais les pièces vendues au besoin.
La marque Simplement, elle, propose des sous-vêtements et leggins teints à partir de plantes : pelures d’oignon, racines de garance, feuilles et tiges d’indigotier. Un beau bouquet garni !
Si plusieurs marques trouvent leur équilibre en s’appuyant sur la teinture organique, serait-il possible que ça se répande davantage dans le secteur de la mode ?
La première étape, pour impacter de manière durable le secteur de la mode, c’est de stopper le rythme infernal de la fast fashion.
Les échelles et volumes propres à la teinture organique ne peuvent suivre aujourd’hui le rythme de l’industrie pour devenir une alternative viable aux yeux de la grande distribution. Pour répondre à la demande, il faudrait faire de la culture intensive de plantes, fruits ou fleurs utiles pour leur pigment, et cette démarche n’aurait plus rien de responsable.
La meilleure solution serait d’abord de relocaliser la production du textile pour pouvoir perpétuer et développer ce savoir-faire dans un cadre local et artisanal. Comme nous venons de le voir, des marques n’hésitent pas à tabler là-dessus, et c’est une réussite !
Pili pense encore plus loin cette alliance de teinture naturelle et mode globale en faisant des recherches et développement autour d’une nouvelle fabrication naturelle de pigments par la bactérie.
Très intéressante, cette démarche dont la technologie repose sur les enzymes pourrait être utilisée à grande échelle. Ils nous présentent leur démarche dans cette vidéo.
Une nouvelle technologie qui nous montre que tout est encore possible !
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