Comment les marques d'alternatives végétales s'adaptent-elles pour séduire le flexitarien curieux, le végétarien engagé ou même l'omnivore sceptique ? Plongez dans notre exploration du design et de la communication de ces marques qui réinventent nos assiettes avec audace et positivité.
Ces dernières années, les enjeux environnementaux, sanitaires et éthiques liés au bien-être animal ont intensifié les débats sur notre consommation de viande. Autrefois perçue comme bénéfique pour la santé (viande = protéine = muscle), des études récentes montrent que la consommation excessive de viande est liée à plusieurs problèmes de santé, comme les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, et certains cancers. De plus, l'industrie de la viande, avec ses émissions de gaz à effet de serre, sa contribution à la déforestation et sa consommation d'eau, est maintenant vue comme un contributeur majeur aux crises environnementales.
L'élevage intensif, standard pour satisfaire cette industrie, compromet sévèrement le bien-être animal. Les conditions d'élevage, les méthodes d'abattage et le transport des animaux suscitent des inquiétudes croissantes. Des documentaires et enquêtes ont mis en lumière ces pratiques, révélant les dessous souvent sombres de cette industrie.
L'ensemble de ces problématiques pousse de plus en plus la population à modifier ses habitudes alimentaires. En France, malgré un attachement fort des Français à la viande comme élément central de leur culture culinaire, les personnes interrogées dans une étude IFOP montre :
Il est donc évident que ces enjeux affectent concrètement la population, qui paraît disposée à modifier son mode de vie pour atténuer les effets nuisibles de cette surconsommation sur notre santé et l'environnement.
Cependant, modifier des habitudes alimentaires profondément ancrées n'est pas chose aisée. C'est pourtant la mission que se sont donnée de nombreuses marques ces dernières années, en proposant des produits visant à faciliter la transition des consommateurs vers une alimentation sans ou avec moins de viande.
Ce que nous visons à explorer dans cette étude, ce sont les divers choix opérés par les marques de substituts végétaux en termes de design et de communication. En effet, bien que la plupart des produits proposés par ces marques se ressemblent (nuggets, steaks, escalopes panées…), les messages et les choix graphiques peuvent être radicalement différents.
Le principal point de divergence réside dans la cible visée par chaque marque. Les substituts végétaux s’adressent à un large panel de consommateurs, qui, malgré la volonté commune de réduire ou supprimer la viande de leur alimentation, n’en sont au final pas tous au même stade de transition dans leur alimentation.
Le design, vecteur de ces distinctions, révèle vers qui chaque marque cherche à se tourner pour trouver son succès. Cette étude vise à recenser les différentes approches adoptées par les marques sur le marché des substituts végétaux.
Le flexitarisme en France et dans le monde :
Bien que ce chiffre nous indique que le flexitarisme est un régime alimentaire qui tend à s’étendre, cela ne donne pas d'indications précises sur la quantité de viande consommée par personne ni sur la fréquence, puisque peuvent se considérer flexitariens des personnes passant d’une consommation de viande d’une fois par semaine à une fois par mois, et peuvent également se considérer comme flexitariens des personnes passant d’une consommation de viande de 7 fois par semaine à 3 fois par semaine.
Néanmoins, les flexitariens restent des consommateurs ayant souvent grandi avec des habitudes alimentaires incluant la viande comme source majeure de protéines. Ils peuvent ne pas être éduqués à trouver leur apport en protéines dans d'autres aliments ou ne pas être prêts à envisager leur assiette sans quelque chose ressemblant plus ou moins à de la viande.C'est à cette catégorie de personnes, ainsi qu'aux végétariens, que s'adressent une partie des marques de substituts végétaux. Face à une clientèle souvent soucieuse d'adopter une alimentation et même un mode de vie plus sain, ces marques adaptent leur offre en proposant des denrées qui reprennent la forme d'aliments familiers tels que les nuggets ou les steaks, mais sans chercher à tromper le consommateur en ajoutant à une forme similaire à la viande, une esthétique ressemblante également. Au contraire, ces produits mettent en avant leur origine végétale, leur lien à l’environnement et se positionnent graphiquement comme des produits à consommer dans le cadre d’une vie saine et plus éthique.Prenons l'exemple de Garden Gourmet, propriété du géant de l'alimentaire Nestlé. Si les produits sont conçus pour imiter ceux existant dans le domaine de la viande ou du poisson (steaks, thon, boulettes, etc.), le packaging ne cherche en rien à cacher l’origine végétale du produit.
De même, la marque Fry's, fondée il y a plus de 30 ans, propose des produits à base de plantes dans le but de faire découvrir à ses consommateurs une nouvelle manière de se nourrir. Au cœur de son identité se trouve :
Créée dans les années 90, et proposant une sélection de substituts végétaux à la viande depuis longtemps, la marque a décidé d’actualiser son image courant 2021, et elle n’est pas la seule. En effet, face à l'expansion du marché des produits à base de plantes, de nombreuses marques contemporaines ont émergé, prenant ainsi la vedette à des marques plus anciennes qui proposaient pourtant ce type de produits depuis des années.
Ce fut le cas par exemple pour la marque Quorn. Face à l’augmentation du nombre de consommateurs se tournant vers une alimentation plus végétale, la marque a vu émerger de nombreux nouveaux choix d'aliments végétariens dans les rayons. Même les grandes chaînes de supermarchés ont commencé à profiter de cette tendance, captant ainsi des parts de marché jamais captées par Quorn elle-même, pourtant pionnière dans ce domaine.
Malgré son expertise et l'utilisation de la mycoprotéine, faisant de ses produits des alternatives à la viande riches en protéines, Quorn n'a pas bénéficié des changements d'habitudes alimentaires des consommateurs en raison de sa présence prolongée sur les étagères des supermarchés, qui lui a fait souffrir d'un décalage de perception dans l'esprit des consommateurs en matière de produits sains.
C’est pour cette raison qu’en 2018, elle a entrepris une refonte de son image afin de réévaluer son positionnement et de tirer profit de la montée du flexitarisme.
Se qualifiant jusqu’ici de pratique et se basant sur l'imitation, la marque a décidé de redéfinir son identité en se positionnant désormais comme accessible, inspirante et ambitieuse. Dans le but d'attirer un public plus large, la marque a identifié une nouvelle cible : les "Healthy Discoverers" (découvreurs sains), des consommateurs activement à la recherche de plats sans viande à la fois sains, nutritifs et savoureux.
En terme de direction artistique :
Cette tendance de marque déjà établie dans le domaine des alternatives végétales mais risquant d’être éclipsée par les nouvelles références a également touché la marque Morning Star Farm. Solidement établie avant l’essor du végétal, la marque a été contrainte de moderniser son image afin de ne pas être supplantée par l’arrivée de nouveaux géants.
Ainsi, elle s’est donné pour mission de rendre l’image de sa marque plus claire, lisible et accessible. En effet, face à une large gamme de choix, le consommateur pouvait être rapidement découragé dans son acte d’achat, face à des produits difficilement différenciables. La marque s’est donc attelé à retravailler l’entièreté de la structure de son identité afin d’en faciliter la compréhension par le client.
La refonte d'une marque nécessitant de comprendre et de préserver les éléments de design actuels les plus significatifs pour le consommateur, Morning Star Farm s'est rendu compte, après étude, qu'elle possédait peu d'actifs distinctifs nécessitant une protection : si la marque évoquait aux yeux des consommateurs des associations nostalgiques et personnelles, elle manquait de valeurs visuelles fortes. Seul le vert semblait avoir marqué les esprits.
Nécessitant donc une réorganisation totale de la manière de présenter son offre, la marque a opté pour une direction basée sur la catégorisation des produits selon les goûts et les saveurs américaines familières, le tout dans une ambiance conviviale de barbecue.
Une autre modification majeure apportée aux nouveaux packagings concerne la présentation de la nourriture cuisinée, sur une assiette ou une planche en bois. Une attention particulière a été accordée à la garniture accompagnant le produit, toujours dans l'optique de faciliter la différenciation de chaque mets.
Ces nouveaux packagings présentent des visuels plus gourmands, remédiant ainsi à l’image négative des substituts végétaux en termes de goût.
Pour résoudre les problèmes d'identification du large choix de produits de la marque, les descripteurs de saveurs et de formats ont été élargis et mettent désormais davantage l'accent sur les mots clés.
Enfin, la teinte de vert de la marque est passée d'une teinte plutôt artificielle à quelque chose de plus naturel, moins manufacturé. Le logo, légèrement modifié également, vient renforcer le désir de modernité de la marque en supprimant sa texture rustique et en optant pour une typographie plus géométrique, aux courbes moins dramatiques.
En 2021, les données ont montré que Morning Star Farms, avec sa gamme de produits Incogmeato, misant sur l'humour tout en préservant son esthétique très naturelle et visant à ressembler le plus possible à la viande, bénéficiait d'une croissance annuelle de 94% ! (Source : Vegconomist)
De même, la marque Linda McCartney's a adopté une nouvelle esthétique pour s'aligner sur la tendance des emballages doux et verts, avec une typographie manuscrite donnant une touche familiale à la marque.
Il est jusqu’ici flagrant que ces marques cherchent à se positionner immédiatement dans l'esprit du consommateur comme des produits liés à la nature et à une alimentation saine, en témoignent :
Ils s'adressent clairement à une clientèle qui souhaite s'éloigner de la viande et trouver des produits en accord avec ses valeurs, sans bouleverser complètement son assiette et ses habitudes alimentaires. L’association au monde du végétarisme est ici une plus-value, face à une cible qui tend vers ce mode de consommation et s’accorde avec les valeurs portées par ce mouvement.
Alors que nous avons jusqu'ici évoqué des marques établies depuis longtemps qui ont dû se moderniser pour rester compétitives, d'autres marques plus récentes semblent avoir décidé d’aborder l’alimentation végétale au travers d’un prisme différent.
Pour commencer, en France, HappyVore (anciennement Les Nouveaux Fermiers) se distingue par une approche qui amorce un vent d’innovation dans la manière de communiquer autour de ce type de produits.
Ici, le vert est mis de côté, laissant place à une palette colorée variée. Mais l'appartenance du produit à la catégorie des végétaux reste immédiatement perceptible grâce à sa représentation, divisée en deux : d'un côté, le produit cuit, de l'autre, les ingrédients qui le composent. Ainsi, il n'y a aucun doute : cette chipolata est fabriquée à base de pois, de graines et de betterave, sans la participation d’aucun animal !
Les emballages d'HappyVore sont intéressants car, tout en affirmant clairement l'origine végétale des produits, ils présentent une nouvelle approche de l'esthétique de marque des substituts végétaux.
Cette nouvelle approche est centrée sur un message positif et une vision joyeuse de l’alimentation et de la vie en générale. Leur credo ? Une alimentation heureuse. Comme leur nom l'indique, il y a les carnivores, les herbivores et les “happyvores”. Leur objectif est de rassembler les consommateurs, quel que soit leur régime alimentaire, autour de produits savoureux, responsables et joyeux. Et c’est ce que reflète leur design :
Dans la même lignée, la marque Heura propose une identité qui se veut unique et percutante, attirant immédiatement l’œil au milieu des rayons de supermarché. L'objectif de cette identité est de transmettre l'héritage méditerranéen de la marque et de refléter sa personnalité solaire.
Le packaging, conçu à partir de matériaux recyclés et recyclables, réduisant ainsi de 80% l'utilisation de plastique, reflète les engagements de la marque en faveur d'une économie plus circulaire.
Côté direction artistique, la marque se désolidarise également de la plupart des codes déjà établis :
Encore une fois, sans nier son appartenance à la catégorie des substituts végétaux, la marque tente de se démarquer des codes habituels associés à ce type de produit, abandonnant les références trop directes à la nature, pour se concentrer sur l'énergie qu'elle souhaite transmettre à travers son produit.
Tout en restant militante et engagée, elle propose une nouvelle manière de communiquer, favorisant la transmission d’un état d’esprit à la promotion traditionnelle des alternatives végétales.
Pour aller encore plus loin, la marque La Vie a complètement revue les codes de la catégorie en se distinguant de tout ce qui avait été fait auparavant. Ses produits se différencient légèrement de ceux vus jusqu’ici, puisque la marque propose actuellement des imitations végétales de charcuterie plutôt que des steaks ou des nuggets. Cependant, ce qui l’a distingue le plus des marques traditionnelles, c'est son approche du branding.
La Vie s'efforce d'unir les végétaliens et les mangeurs de viande autour de la célébration de la vie, un point commun à tous, indépendamment de notre régime alimentaire. La marque cherche à rapprocher les gens plutôt qu'à les diviser, une intention pleine de sens autour d’un sujet qui a tendance à cliver.
Et pour se démarquer et séduire des catégories de consommateurs complètement différentes, La Vie propose un univers de marque qui se libère des conventions habituelles de l'univers de la viande tout comme de celles des produits végétaux. Elle ne souhaite pas créer de "honte sociale" autour de la consommation de viande, considérant que cet angle est contreproductif pour la mise en place de solutions durables. Ainsi, elle fait le choix de laisser de côté les revendications et stéréotypes pour créer un univers entièrement nouveau, où les codes sémiotiques des différents univers se combinent pour construire quelque chose auquel le consommateur peut s'identifier émotionnellement. Le terme “univers de marque” prend tout son sens ici, puisque l’identité de la marque tourne autour d’un monde imaginaire spécialement créé pour représenter son message.
Dans cet univers parallèle, la célébration de la vie sous tous ses aspects tient une place centrale.
Illustré par l'artiste lituanienne Egle Zvirblyte, ce monde offre à la marque une identité unique, pleine de caractère et de personnalité, difficile à manquer au milieu des rayons :
En précisant que ses produits sont "à base de plantes", sans pour autant en faire le point central de son univers, La Vie, à l’instar d'Heura par exemple, propose des produits similaires à la viande sans pour autant ni les positionner comme tels ni les positionner comme opposés. Le message ne tourne plus autour de l'origine végétale du produit, mais plutôt autour d'un état d'esprit positif qui vise à rassembler des consommateurs susceptibles de se diviser sur les sujets liés aux régimes alimentaires. C'est une manière douce d'introduire le message végétarien, sans stigmatiser une partie ou une autre des consommateurs.
Ces premières gammes de produits illustrent bien comment de légères nuances de positionnement, introduites par les marques via leur design, peuvent influencer l'apparence globale de produits presque identiques.
Ces marques n’ont pour certaines visuellement que peu de points communs, et pourtant elles offrent toutes des alternatives à la viande, souvent inspirées des produits transformés à base de viande tels que les nuggets ou les produits panés.
Ces produits, apparus dans les années 50-60 aux Etats-Unis puis exportés en Europe, se sont démocratisés au sein de l’alimentation des français à travers l'essor des grandes surfaces. Appréciés pour leur facilité à être préparer, ils s’adaptent parfaitement au cadre d’un mode de vie urbain toujours plus rapide, et c’est précisément à ces besoins que ces alternatives répondent : simples d'utilisation, rapides à préparer et familières dans leur aspect, elles permettent à ceux qui envisagent de réduire ou d'éliminer la viande de leur alimentation de le faire sans bouleverser leurs habitudes alimentaires.
Cependant, si certaines arborent ce qu’on peut considérer comme le message et le design “traditionnel” associés à ce type de produits, en mêlant codes presque stéréotypés du végétal et apparence légèrement similaire aux produits carnés pour ne pas dérouter le consommateur, d’autres marques, plus récentes, comme Heura ou La Vie, ouvrent la voie vers une nouvelle manière de présenter ces produits.
Se positionnant d’une part comme le choix parfait pour une transition alimentaire en douceur, elles amorcent en parallèle un travail visant à normaliser les alternatives végétales dans les rayons, à leur offrir une place à part entière, pour en faire des produits communs, appréciés pour leur singularité et non plus seulement des “remplaçants” d’autres produits.
Néanmoins, malgré cette volonté de sortir les substituts végétaux de leur niche, il est indéniable que ces marques s’adressent majoritairement à un public déjà convaincu, ou chez qui le processus de questionnement d’une transition alimentaire est déjà amorcé.
Pour ces consommateurs, le label “100% végétal” est un argument de vente convaincant, parfois même une source de fierté, bien que certains chiffres montrent que le marché, flexitarien notamment, tend à se montrer frileux. On constate que :
Malgré leur connaissance des produits, les sondés sont freinés à l’achat car :
Ceux deux raisons majoritaires, le prix et le goût, sont celles qui entraînent un faible taux de réachat. Mais nous pouvons également citer la composition des produits, souvent caractérisée par des listes d'ingrédients longues et la présence d'éléments tels que l'huile de tournesol en deuxième position, qui constitue un obstacle pour les consommateurs en quête d'aliments plus naturels et sains. L’image de ces produits, par rapport à leurs engagements et promesses, laisse les consommateurs dubitatifs :
Ces chiffres représentent un défi majeur pour ces marques face à une clientèle de plus en plus soucieuse de son alimentation et de son impact sur l'environnement.
Si le marché flexitarien se fait difficilement convaincre, le marché omnivore, avec ses 74% de consommateurs se considérant comme tel, reste le plus intéressant à séduire. Et pourtant, ce n’est pas sur cette part de marché qu’on s’attend à voir se positionner des marques de substituts végétaux, souvent identifiés comme destinés aux végétariens. C’est pourtant le pari fou que certaines d’entre elles se sont lancées.
Leurs produits ne diffèrent pas fondamentalement de ceux mentionnés précédemment, bien qu’encore plus d’attention soit portée à la reproduction exacte de l'expérience de consommation de la viande. Certaines marques repoussent même les limites de la technologie en introduisant de nouvelles techniques de production, notamment l'utilisation d'imprimantes 3D, pour imiter la texture de la viande de manière toujours plus réaliste.
Ainsi, plus que des produits transformés tels que les nuggets, ces marques proposent des produits encore plus ressemblants à la viande, pouvant parfois presque trouver leur place sur des étales de boucherie. Si cette volonté d’imiter au plus fidèlement la viande se traduit bien sûr dans la perception physique du produit, elle trouve également sa place au cœur des choix design et marketing.
La marque Impossible Foods est un bon exemple de ces marques qui vont toujours plus loin pour ressembler à la viande, d’autant plus après avoir récemment dévoilée sa nouvelle identité.
Fondée en 2011 par Patrick O. Brown, professeur de biochimie à l'Université Stanford, l'entreprise est le fruit d'un congé sabbatique de 18 mois consacrés à l'étude des moyens d'éliminer l'élevage intensif, qu’il considère comme l'un des plus graves problèmes environnementaux de notre époque. Cette période de recherches a abouti à une conférence donnée en 2010, intitulée "The Role of Animal Agriculture in a Sustainable 21st Century Global Food System". Mais face à l’impact limité de cette initiative, Patrick O. Brown décide se lancer dans la conception d’un produit compétitif sur le marché, capable de réduire la dépendance à l'élevage animal. Ainsi est née Impossible Foods, avec pour objectif de recréer fidèlement le goût et la texture de la viande et des produits laitiers, afin de pouvoir, à long terme, mettre fin à l’élevage intensif.
Initialement, l'identité de la marque reflétait son enracinement scientifique, les produits étant le fruit d'une technologie innovante développée par de nombreux chercheurs. Les emballages utilisaient une teinte vert menthe, symbolisant lointainement le lien avec la nature, mais évoquant surtout une dimension plus synthétique, voire chimique, au travers de ses nuances néon.
Dès le départ, le positionnement d’Impossible Food était de se placer côte à côté des vrais steaks dans les rayons afin d’être considérée comme similaire à ces produits. À une différence près : l’absence d’animaux dans le processus de création. Pour tendre au mieux vers ce but, Impossible Food devait non seulement recréer à la perfection le goût de la viande, mais également toute l’expérience qui l’entoure, dès l’acte d’achat.
À cette fin, la marque a récemment fait peau neuve avec un tout nouveau branding, qui réaffirme encore plus cette volonté de gommer visuellement toutes différences avec le marché de la viande bovine. Confiée à la même agence ayant conçu la nouvelle identité de Burger King, cette initiative pousse encore plus loin les similitudes avec l'esthétique traditionnelle des marques de viande.
Jusqu'à présent, le logo bold et imposant faisait un clin d'œil à l'univers rustique et viril associé au boeuf, mais la mention "Plant" apparaissait rapidement lors de la lecture de l’emballage, et le côté univers scientifique ne complétait pas à 100% l'expérience parfaitement similaire à celle de l’achat d’un steak traditionnel.
Avec ce nouveau branding, Impossible Foods abandonne son image de science alimentaire au profit d'un positionnement axé viandard et saveur. Cette nouvelle orientation vise à conquérir davantage le marché difficile des "meat lovers". Bien que cette ambition ait été une priorité de la marque depuis des années, Impossible Foods a rapidement été associée au végétarisme plutôt qu'à un produit destiné à l'ensemble des consommateurs, indépendamment de leur régime. Désormais, la marque réaffirme son intention de s'imposer dans l'alimentation générale, pas seulement dans des niches spécialisées.
La nouvelle identité comprend :
Sur les emballages, les informations nutritionnelles occupent une place centrale, reléguant au second plan les références à la nature et au bien-être animal. En effet, certaines études montrent que mettre en avant la durabilité et le bien-être animal comme arguments de vente peut s'avérer inutile, voire contre-productif. Ces études reprochent aux marques de substituts végétaux de ne pas avoir su correctement comprendre les attentes du consommateur, pour qui la durabilité, bien qu’importante, ne trouve la plupart du temps pas sa place au sommet de la hiérarchie de ses priorités.
Pareil pour les questions de bien-être animal, si cette approche convient à une partie de la clientèle, elle peut s’avérer rebutante ou décourageante pour une autre, car moralisante.
L'objectif d'Impossible Foods n'est donc plus de jouer sur ces tendances, mais plutôt de prouver qu'il est possible de reproduire l'expérience de la viande, voire de l'améliorer, avec des produits nutritionnellement compétitifs.
En ce sens, le style photographique adopté est cohérent, avec des visuels alléchants inspirés des enseignes de burgers. Basé sur une approche simple se concentrant sur des plans rapprochés et macro, il met en avant le goût et la texture du produit. Les illustrations, quant à elles, s'inspirent des gravures sur bois utilisées dans les boucheries pour présenter les différentes coupes de viande.
En conclusion, Impossible Foods, plutôt que de se conformer aux normes de la catégorie des substituts végétaux, ou bien d’introduire ces produits sous un nouveau prisme, se positionne aux côtés des marques de viandes animale traditionnelles pour mieux séduire leur clientèle.
Si elle semble plus nuancée avec son utilisation du vert comme couleur principale, la marque Beyond Meat adopte elle aussi une stratégie marketing visant à convertir les carnivores en végétariens occasionnels. Ils ont conscience que, même sans les cibler, les végétariens consommeront leurs produits. Ce qu’ils cherchent donc avant tout à proposer, c’est une alternative convaincante pour les mangeurs de viande, en imitant au mieux cette dernière.
Bien que la marque conserve quelques références au végétal, telles que la mention "plant based" et le label vegan, son ambition reste de s’immiscer ni vu ni connu dans le rayon viande. La marque compte sur la consistance hyper-réaliste du steak pour jouer un rôle majeur dans ce processus, s’autorisant donc une marge de manœuvre plus libre et moins imitative de la viande dans le graphisme.
Cependant, les récentes modifications apportées à son identité, qui visent à moderniser son image, éloignent quelque peu la marque d’une perception artisanale, l’a poussant plus vers une image de marque de viande biologique.
Dans l'ensemble, les nouveaux packagings adoptent un style plus moderne, s’éloignant des codes très “Plant Based” tout en en préservant quelques traits caractéristiques.
Si Impossible Food et Beyond Meat tendent à ressembler à des marques de viande traditionnelle, la marque Redefine Meat plonge encore plus loin dans ce défi. Son secret? L’impression 3D.
En termes d’image, là aussi la marque, en dehors d’une mise en avant de sa technologie, joue sur sa ressemblance frappante et son imitation toujours plus réaliste de la viande.
En témoignent leurs visuels Instagram qui ressemblent à s’y méprendre à des pièces de bœuf cuisinées, où la mention de l’origine végétale du produit apparaît par le seul biais d'une discrète astérisque. Le jeu sur l'ambiguïté est habile, les textes précédés d’une astérisque indiquant des informations souvent obligatoires (Ex : “L’abus de l’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération) mais presque ignorées par les consommateurs, délivrent ici une information crucial sur le produit, de manière presque effacée, mais juste assez présente pour ne pas être rater.
La qualité d'imitation est telle que les visuels présentent des produits encore plus proches de l'univers de la viande que ceux des autres marques. Jusqu’ici, on constate que le burger est un élément très prisé dans la communication de nombreuses marques de substituts végétaux puisqu’il permet de mettre en scène de façon alléchante tous types de galettes pouvant prendre la traditionnelle place du steak. Mais chez Redefine Meat, la technologie utilisée permet une telle qualité d’imitation qu’il n’est pas nécessaire d’enfouir le produit au milieu d’une recette pour qu’il soit légitime à prendre la place de la viande. Les produits de la marque se suffisent à eux-même, prenant même la forme de pièces de boucher raffinées.
L'allusion à la boucherie trouve d’ailleurs sa place dans de nombreux éléments de l’identité :
L’ensemble de l’identité est sombre, fumée, s’inspirant fortement de marques aux esthétiques similaires à celle de Charal. Il est intéressant de noter que, même pour indiquer que le produit est d'origine végétale, Redefine Meat utilise des éléments liés aux animaux, comme une vache à l'envers avec la mention "New Meat".
Cette approche reflète l'état d'esprit de la marque, similaire à celui d’Impossible Food par exemple, qui cherche non pas à proposer une simple alternative à la viande, mais plutôt la viande de demain.
En ce qui concerne le packaging, on note que le terme "Beef" est mis en avant et écrit en plus gros que le terme "Plant based", tout comme chez Impossible Food. La teneur en protéines est également mise en avant pour rassurer le consommateur et lui assurer que si le produit remplace la viande dans son assiette, il tend également à l’a remplacé en termes d’apport nutritionnel.
La baseline "Precisely the same, entirely different" résume parfaitement la philosophie de la marque : chaque détail est minutieusement pensé pour offrir une imitation fidèle de la viande animale, sans pour autant impliquer l'utilisation d'animaux.
Ces trois dernières marques s’illustrent dans leur capacité à redoubler d’ingéniosité, que ça soit sur le plan technique pur ou sur le plan marketing, pour créer des produits capables de se substituer à la viande sur tous les plans. Elles proposent au consommateur de modifier son alimentation sans subir la moindre perturbation dans ses habitudes, de l’acte d’achat à l’assiette. Parties du constat qu’il y a, et aura sans doute toujours, des personnes attachées à leur consommation de viande, elles souhaitent proposer, plus qu’une alternative, des produits complètement remplaçants.
Une dernière catégorie de marques s’est distinguée dans cette étude. Reprenant dans l’essence même de leurs produits la volonté de ressembler au plus près à des denrées déjà existantes, elles se démarquent cependant en abordant un ton engagé. Là où certaines marques relèguent leur message de fond au second plan afin de toucher un panel de consommateurs plus larges, ces marques mettent plutôt leur militantisme au cœur de leur communication.
C’est le cas par exemple de VFC (Vegan Fried Chicken), qui s'éloigne du bœuf pour se concentrer sur la réduction de la consommation de poulets. Leur objectif est de proposer une alternative végétale à la malbouffe souvent à base de poulet frit, au travers d’une "rébellion alimentaire positive". Ils visent à créer une marque gourmande, comparable aux enseignes de fast-food traditionnelles, mais sans la culpabilité liée à la consommation d’animaux. La marque propose une vision de la nourriture végétale complètement libérée des normes bien-pensantes habituellement attribuées à cette catégorie de produits.
Dans cet esprit, le ton de la marque adopte celui des fast-foods et de la restauration rapide, avec une esthétique criarde et appétissante. Sur le plan visuel, elle se fond au premier regard parmi les enseignes de junk-food classique, reprenant tous les codes de ses homologues carnivores.
Alors que les anciens emballages affichaient "Vegan Fried Chicken" de manière très visible, les nouveaux emballages présentent l'information de manière beaucoup plus discrète, mettant davantage en avant le terme "Chicken" que celui de “Vegan”.
En parallèle, en se rendant sur le site Internet, le message de la marque est clairement mis en avant. Slogans, pancartes, engagements... La direction artistique, qui jusqu’à semblait puiser son inspiration dans la culture street et l'art de la street-food, adopte désormais un ton revendicateur et engagé.
Le côté street art, l’utilisation de tag et d’aérosols sert à présent un message fort et militant. L'association contrastée du rouge, du noir et du blanc prend une connotation révolutionnaire, et l'utilisation abondante du ketchup semble évoquer le sang, ce qui aurait pu rendre la nourriture repoussante, mais qui sans la présence d'animaux, conserve son côté gourmand.
Le message concernant l'aspect végétal du produit est relégué au second plan au profit de la mise en avant d'un message fort : en consommant nos produits, vous ne contribuez pas à la souffrance animale.
Ce qui est intéressant ici, c'est que même en reprenant les codes d'une catégorie déjà existante pour toucher un public plus large que celui des végétaliens et des végétariens, VFC ne sacrifie en rien son message en faveur du bien-être animal. Contrairement à certaines autres marques qui évitent de culpabiliser une partie de leur clientèle en mettant de côté ce message, VFC intègre pleinement cette dimension. En fait, on pourrait même dire que la culpabilisation joue un rôle dans le processus d'achat : en consommant les produits VFC, d’une certaine manière, on “dénigre” la consommation d’animaux, au profit de VFC qui propose une nourriture similaire, mais plus éthique.
L'approche de la marque THIS s’inscrit également dans cette mouvance militante, en se démarquant à la fois des codes classiques tout en assumant pleinement son origine vegan.
Elle aborde même son aspect militant de manière très frontale : en choisissant ce nom court, un adjectif démonstratif, qui sert à désigner sa particularité, la marque introduit immédiatement sa spécificité. Tous les supports et la direction artistique de la marque s'articulent autour de ce nom : chaque utilisation du logo marque le début d'une phrase présentant un produit ou délivrant un message.
Associée à une palette monochrome, l'utilisation récurrente de messages confère à la marque une dimension très "pancarte militante". La place dominante du logo/message sur les emballages attire l'œil dans les rayons de supermarché et renforce l'image engagée et revendicative de la marque. Le système élaboré par les graphistes derrière l'identité est très structurant et offre une cohérence entre tous les supports.
Dans le logo, le "I" est systématiquement remplacé par un ustensile de cuisine surmonté du produit. Contrairement à la plupart des photographies culinaires, THIS propose des visuels de produits "nus", sans garniture ni mise en situation. L'attention est ainsi recentrée sur le produit et sur le message fort qui l'accompagne : cette chose qui ressemble vraiment à de la viande, dans son aspect, son goût et sa texture, n'en est pas.
Les emballages, conformes aux engagements de la marque, se présentent sous la forme d'un plateau en carton utilisant 90% de plastique en moins que les emballages classiques, et se distinguent par le contraste noir/blanc, les produits prêts à consommer étant emballés en noir tandis que les produits à cuisiner sont emballés en blanc.
THIS propose donc une approche novatrice pour présenter ses produits, en se détachant à la fois des stéréotypes associés à la nourriture vegan et de l'imitation de la viande. Leurs produits se démarquent ainsi de l'image parfois négative que les consommateurs peuvent avoir des substituts végétariens, souvent décevants en termes de goût et de texture, sans chercher à se faire passer pour de la viande.
Bien que la marque cherche à déculpabiliser, elle exploite intelligemment le sentiment de culpabilité du consommateur, ciblant ainsi un marché flexitarien conscient des enjeux et des problématiques liés au bien-être animal mais pas encore prêt à renoncer complètement à la consommation de viande. THIS à la solution : des produits similaires, mais qui n’impliquent pas de souffrance animale.
L'exploration de l'écosystème des substituts végétaux révèle un paysage plus complexe qu'il n'y paraît. Si l'on pourrait initialement associer ces produits à une image esthétique stéréotypée, cette étude dévoile une diversité surprenante dans les approches adoptées par les différentes marques pour séduire les consommateurs. Alors que les alternatives à la viande étaient autrefois perçues comme destinées à une clientèle niche, l'évolution des mentalités à l'égard de l'industrie de la viande ouvre désormais ces produits à un public plus large. Face à cette diversité de régimes alimentaires et de nuances, chaque marque décide d'adopter un message différent, cherchant à toucher des segments spécifiques du marché.
Certaines optent pour une esthétique classique associée aux produits destinés au marché végétarien, tandis que d'autres se concentrent sur un message visant à limiter l’exclusion en raison du régime alimentaire. Elles reconnaissent que les repas sont vecteurs de lien social, et qu’il serait contreproductif sur le long terme que la segmentation des régimes alimentaires entâche l’image conviviale de ces moments. Elles proposent des alternatives permettant de s'intégrer à divers types de repas, y compris les barbecues traditionnellement exclusifs aux régimes non végétariens, afin d’inscrire ces nouveaux produits sous le signe du rassemblement et non de la division.
D'autres marques ciblent les consommateurs végétariens motivés par des convictions éthiques, écologiques ou de santé, mais qui subissent le manque dû à l'absence de viande dans leur alimentation. Elles offrent des solutions pour surmonter cette difficulté plus facilement, en proposant des produits savoureux et nutritifs qui comblent le vide laissé par l'absence de viande tout en respectant les valeurs éthiques de ces consommateurs.
Enfin, certaines marques plus audacieuses défient même les consommateurs carnivores les plus fervents en proposant une reproduction irréprochable de la viande, capable de surprendre même les palais les plus exigeants. Ces marques repoussent les limites de la technologie et de l'innovation pour créer des alternatives à la viande qui ne compromettent ni le goût ni la texture, offrant ainsi une expérience gustative authentique et satisfaisante.
La consommation de viande, ancrée dans la vie de nombreuses personnes, fait face à des problématiques diverses et un public tout aussi varié. C'est ainsi que naissent des marques aux réponses tout aussi variées, chacune cherchant à s'adapter aux besoins, aux valeurs et aux préférences d'un marché en évolution constante. À mesure que les mentalités évoluent et que les consommateurs deviennent de plus en plus conscients de l'impact de leurs choix alimentaires sur leur santé, sur l'environnement et sur le bien-être animal, les substituts végétaux s’adaptent aux différents stades et types de transition, donnant lieu à des visuels et stratégie parfois complètement différentes.
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